Déclaration des médecins hygiénistes en chef provinciaux et territoriaux concernant l’étiquetage des produits alcoolisés

Corps

21 novembre 2025

Au Canada, le fardeau de plus en plus lourd des maladies chroniques exerce une pression considérable sur le système de santé et a des conséquences économiques et sociales négatives sur la santé et le bien-être de la population. Substance psychoactive la plus consommée au Canada, l’alcool cause 17 000 décès par année au pays et contribue grandement aux maladies chroniques et aux blessures. Près de 80 % des Canadiens âgés de 15 ans et plus boivent de l’alcool, 57 % dépassent le niveau de consommation à faible risque, 20 % s’adonnent au calage au moins une fois par mois et 18 % répondront aux critères d’usage problématique au cours de leur vie. En 2020, les coûts sociétaux de l’alcool au Canada s’élevaient à 19,7 milliards de dollars, soit un fardeau plus lourd pour le système de santé que celui imposé par le tabac ou les opioïdes. Ajoutons que la consommation d’alcool de même que la morbidité et la mortalité qui en découlent ont augmenté au Canada pendant la pandémie de COVID-19 et que les conséquences négatives de l’alcool sur la santé demeurent plus élevées qu’avant la pandémie.

Malgré le lourd fardeau qu’il représente pour la santé et l’économie, l’alcool est fortement banalisé, et sa disponibilité est en hausse en raison de sa vente, de sa distribution, de sa commercialisation et de sa consommation à grande échelle. La plupart des Canadiens ignorent, comprennent mal ou sous-estiment les risques de morbidité et de mortalité liés à l’alcool, et ce, même si on sait depuis plus de 35 ans qu’il s’agit d’un agent cancérigène sans seuil de consommation sécuritaire. En 2020, on estime que parmi les nouveaux cas de cancer au pays, 7 000 étaient attribuables à l’alcool (soit environ 3 % du nombre total de cas). Pourtant, en 2023, seulement 29 % des consommateurs adultes au Canada savaient que l’alcool peut causer sept types de cancer. Selon les données d’une enquête réalisée récemment par Santé Canada auprès de quelque 10 000 adultes, seulement 59 % d’entre eux avaient entendu parler des Repères canadiens sur l’alcool et la santé.

La situation est exacerbée par le manque d’information claire transmise aux consommateurs au pays. Par exemple, le site Web de Santé Canada ne contient encore aucun renseignement sur les Repères. Le public a le droit de connaître les risques que posent les produits qu’il consomme et d’avoir accès à de l’information claire qui lui permet d’adopter un usage plus sécuritaire. Le manque d’information de santé sur les étiquettes des contenants d’alcool au Canada limite la capacité des consommateurs à prendre des décisions éclairées concernant leur consommation.

Pour de nombreux experts des milieux de la recherche en santé et en droit au Canada, les fabricants de produits de consommation doivent prévenir le public des risques inhérents à l’utilisation de leurs produits et lui donner l’information nécessaire pour faire des choix éclairés concernant cette utilisation. On parle ici du droit fondamental des Canadiens à disposer des connaissances dont ils ont besoin pour se protéger des dangers, dans la mesure du possible. Cela est particulièrement important dans le cas des produits commercialisés et vendus pour la consommation humaine qui comportent de nombreux risques potentiels, comme l’alcool.

Les étiquettes de mise en garde figurent parmi les mécanismes les plus efficaces pour communiquer les risques des produits pour la santé et dissuader les gens de fumer et d’acheter des boissons sucrées et des aliments malsains. Elles constituent un outil unique d’information, puisque les consommateurs sont constamment exposés à des messages de santé aux principaux points de contact, soit le point de vente et le point de consommation. Leur capacité à rejoindre les consommateurs est sans égal, notamment en raison de leur grande visibilité chez les gros buveurs. Selon une revue systématique publiée dans The Lancet Public Health sur l’incidence des étiquettes sur les produits d’alcool, le fait de présenter les étiquettes en succession (avertissements concernant le cancer, conseils, information sur le verre standard) peut réduire le niveau général de consommation et les ventes d’éthanol par habitant. Ces résultats sont principalement tirés d’une étude canadienne sur l’étiquetage dans le monde réel réalisée au Yukon, qui a montré une baisse de 6 % des ventes d’éthanol par habitant aux endroits où des étiquettes étaient utilisées, comparativement aux sites sans étiquetage.

Si le Canada est un chef de file reconnu mondialement pour l’imposition d’avertissements de santé sur les emballages de tabac et de cannabis, les contenants d’alcool sont pour la plupart exemptés de ces exigences. La réglementation mise en place par le gouvernement canadien exige l’ajout, sur les étiquettes des contenants d’alcool, d’une déclaration d’alcool par volume et d’une déclaration de certains additifs. Les autorités provinciales et territoriales peuvent exiger que des renseignements supplémentaires soient inscrits sur les étiquettes des contenants d’alcool. Par exemple, au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest, les étiquettes doivent informer le public des risques associés à la consommation d’alcool pendant la grossesse, et les Territoires du Nord-Ouest exigent l’ajout d’une étiquette d’avertissement concernant le cancer depuis avril 2024. Cela dit, les 10 provinces et le Nunavut n’exigent aucun étiquetage au-delà des obligations nationales.

Malgré cette variabilité dans l’étiquetage, il est prioritaire de diminuer la consommation d’alcool de la population pour en atténuer les méfaits au Canada. La Stratégie sur les drogues et autres substances 2023 de Santé Canada considère notamment la prévention et la sensibilisation comme des domaines prioritaires. Les étiquettes d’avertissement obligatoires sont en outre l’une des grandes recommandations des Repères canadiens sur l’alcool et la santé et ont l’appui de la majorité de la population canadienne.

Au Canada, les partenaires du secteur de la santé, dont les communautés inuites, métisses et des Premières Nations, réclament que le gouvernement fédéral prenne l’initiative dans le dossier de la communication des conséquences de la consommation d’alcool sur la santé. Le projet de loi S-202 a été présenté au Sénat canadien en mai 2025. Il propose de rendre obligatoire, au niveau fédéral, l’apposition d’étiquettes de mise en garde sur les boissons alcoolisées. C’est la dixième fois qu’un projet de loi émanant d’un député et portant sur de telles étiquettes est déposé et débattu aux chambres du Parlement canadien, avec en toile de fond les appels à la réforme de plusieurs grands acteurs internationaux.

L’Organisation mondiale de la Santé considère l’étiquetage comme une intervention recommandée et une première étape nécessaire et essentielle dans une stratégie globale de contrôle de l’alcool. Des progrès ont été accomplis dans l’Union européenne, en Irlande, en Norvège et dans d’autres pays concernant les exigences d’étiquetage. Par ailleurs, l’Australie a récemment actualisé sa réglementation sur les étiquettes d’avertissement (taille, emplacement, couleurs et format). De plus, la directrice du Service de santé publique des États-Unis et l’Association médicale américaine ont récemment lancé des avis publics en faveur de l’apposition d’étiquettes d’avertissement concernant les produits d’alcool et le cancer (2025). Le Canada ne doit pas être à la traîne face au reste du monde.

Les médecins hygiénistes en chef et les administrateurs en chef de la santé publique provinciaux et territoriaux1,2 – les dirigeants en santé publique dans chaque province et territoire – exhortent donc le gouvernement fédéral à imposer l’ajout de mises en garde de santé sur tous les contenants d’alcool vendus au Canada. Plus précisément, les exigences d’étiquetage devraient prévoir de l’information minimale obligatoire, comme des recommandations scientifiques sur la consommation d’alcool et ses risques pour la santé, un avertissement concernant le cancer et de l’information sur le nombre de verres standards canadiens par contenant. Les étiquettes sont plus efficaces lorsqu’elles reposent sur la science, sont évaluées par des consommateurs et suivent les pratiques exemplaires, c’est-à-dire qu’elles sont relativement grandes, colorées et placées sur la surface principale des contenants d’alcool. Nous sommes aussi d’avis que Santé Canada doit prendre des mesures immédiates pour afficher des renseignements sur les Repères sur son site Web.
 

  1. La directrice nationale de santé publique du Québec soutient les principes énoncés dans cette déclaration, mais le Québec continuera d’assumer ses responsabilités en santé publique et coordonnera ses activités avec celles d’autres administrations publiques, le cas échéant.
  2. Le médecin hygiéniste en chef de l’Alberta n’est pas en mesure d’appuyer cette déclaration pour le moment.

Dre Sudit Ranade, médecin hygiéniste en chef, Yukon

Dre Kami Kandola, médecin hygiéniste en chef, Territoires du Nord-Ouest

Dre Ekua Agyemang, administratrice en chef de la santé publique, Nunavut

Dre Danièle Behn Smith, médecin hygiéniste provinciale intérimaire, Colombie-Britannique

Dr Saqib Shahab, médecin hygiéniste en chef, Saskatchewan

Dr Brent Roussin, médecin hygiéniste en chef, Manitoba

Dr Kieran Moore, médecin hygiéniste en chef, Ontario

Dr Yves Léger, médecin hygiéniste en chef, Nouveau-Brunswick

Dre Heather Morrison, médecin hygiéniste en chef, Île-du-Prince-Édouard

Dr Robert Strang, médecin hygiéniste en chef, Nouvelle-Écosse

Dre Janice Fitzgerald, médecin hygiéniste en chef, Terre-Neuve et Labrador